Acte d'écriture : processus et produit
Petit lexique
Aides extérieures
Il existe des cours d’écriture, c’est un fait. Et c’est assez nouveau dans le monde francophone.
Notez qu'il existe aussi des auto-écoles, et qu'une personne sur des milliers passera des heures et des heures à faire et refaire les mêmes gestes face à un volant… S'il arrive que cette passion curieuse amène cette personne à faire de la conduite automobile une activité en soi, elle deviendra pilote de Formule 1. Or il y a fort à parier que personne n'aura vraiment aidé ce pilote (sauf au tout début), parce qu'en dehors des rudiments, il aura tout réinventé, tout revisité à sa façon pour devenir un champion.
S'il comptait se cantonner au Karting, là oui, peut-être, un coach aurait pu l'aider. Mais est-ce là votre objectif ?
Il existe des écoles d'ingénieurs, certes, mais existe-t-il des écoles pour devenir Cervantès, Molière ou Bukovsky ? Or si vos textes existent un jour, c'est parce qu'ils auront dépassé, fait évoluer (exploser) les "rudiments" que l'on peut enseigner dans les écoles, ateliers d'écriture.
Donc faites vous aider, oui, mais cela n'équivaudra à rien d'autre qu'à la "poussette" dans le dos du cycliste qui démarre.
Autre question : ces ateliers, cours d’écriture vous proposent un accompagnement, mais est-ce désintéressé ? Pas toujours.
De la même façon qu’un malade est un client pour un pharmacien, qu’êtes-vous au juste, avec votre projet d’écriture, pour la ou les personnes qui se proposent de vous aider à concrétiser les choses ? Leur fond de commerce, n'est-ce pas d'oublier qu'avec un mulet, on ne fait pas un cheval de cours(e) ?
Cases
Convictions
Corrections
Doutes
Plaire à un éditeur, est-ce que cela a encore un sens ? Suis-je un écrivain, et d'abord c'est quoi, un écrivain ? Et que je plaise, ou que je ne plaise pas, serais-je / est-ce que pour autant je sais écrire. Sur mon CV est écrit "Enseignant Ecrivain", et si vous n'étiez qu'un enseignant qui écrit ? Comme il existe des chauffeur poids lourd amateurs de pétanque...
Et puis, ai-je envie de m’investir plus à fond dans ce métier où les décideurs pourront me planter au premier virage ?
En outre, plaire au public, est-ce forcément bon signe ? 100 000 ventes, la loi du nombre, ça prouve quoi ? Au Moyen-Âge, il étaient des millions à croire que la terre était plate.
Qui se souvient aujourd’hui de Folon, de Claude Weisbush ? Deux peintres qui tenaient le haut du pavé il y a 50 ans. Qui se souvient de Klaus Nomi en musique (volontairement je ne pioche pas dans la liste des succès d’édition d’hier).
D’ailleurs en matière de livre, plus rien ne plaît vraiment au public, au point qu’une ronde infernale s’est emballée dont la librairie est la place où le barnum est installé. Il faut savoir que vous commencerez par plaire à un lecteur d’une maison d’édition, lequel croira avoir flairé un coup d’édition, c’est-à-dire un marché potentiel. La plupart ne cherchent plus depuis longtemps un écrivain, quelqu’un qui débarquerait chez eux avec un titre à affiner (c’est-à-dire du travail pour lui), quelqu’un à guider et à qui il faudrait laisser du temps en sachant qu’il ne se révèlera pleinement qu’au 3ème ou 4ème titre publié, non. Le décideur de maison d’édition veut du directement vendable.
Et si pour une raison X ou Y les copains de la presse faisaient défaut à votre maison d'édition, sachez qu’au bout de quelques semaines votre bouquin partirait au pilon, le libraire serait remboursé, et avec le papier recyclé, on éditerait le prochain candidat – d’autant qu’il y en a qui apportent parfois avec eux des subventions – de la ville de Nantes s’il est de Nantes, de l’amicale des pompiers du coin s’il est pompier du coin.
Et vous, là-dedans ?
Au fait – doute ultime – avec quoi aviez-vous convaincu ce lecteur de maison d’édition ? Peut-être tout simplement était-ce votre histoire qui lui avait valu le pardon de son chef pour ses derniers bides ? Il s’est peut-être juste trouvé que vous racontiez l’histoire qui allait se vendre. Ma concierge est en fait un agent secret : 100 000 ventes. Ma mari me trompe avec un homme, je songe à le lui repiquer pour voir. 100 000 ventes. Oui, mais après, mon deuxième titre, une fois que je serai catalogué (e) dans ce registre, ce sera quoi ?
Etudes
Que vous ayez fait un cursus poussé en latin, en Lettres ou en charcuterie ne vous dispose en rien à être meilleur ou plus mauvais – des études de Lettres vous auront un peu appris à lire, peut-être à sentir (ce qui risque de marcher en librairie), de telles études vous auront fait gagner un peu de temps, mais pas grand-chose d'autre : donc si vous êtes charcutier de formation, vous allez devoir bosser un peu plus, mais au moins ne serez-vous pas forcément prévisible… ce qui est très précieux. Je donne 1000 Bernard Buffet contre un Douanier Rousseau.
« FIN »
Le grand truc, la fin. Personnellement, il m’arrive de sortir du cinéma avant la fin d’un film – par peur d’être déçu, comme je ne regarde pas ce que marque la roulette quand je joue au casino – j’attends pour savoir que le croupier ramasse mes jetons, ou me les multiplie. La fin c’est tellement important pour moi, que j’écris des livres où, dans les dernières lignes, les toutes dernières, le lecteur a envie de reprendre le Chapitre 1 ; de recommencer à tout lire parce qu'une dernière info lâchée avant de refermer le livre permet soudain une toute autre lecture de l’intrigue – tel coupable est en fait un innocent, et seuls les préjugés du lecteur lui avaient permis de comprendre ce déroulé de l'intrigue.
Gammes
On les dit importantes et quotidiennes pour les musiciens. Les peintres ont des « carnets de croquis » qui leur servent à deux choses. Un, à se faire une galerie de motifs toujours à disposition quand ils composeront l’œuvre suivante (ils ont noirci des pages entières de chevaux dans telle ou telle situation, pratique quand on doit peindre une scène d’équitation).
Deux, ne pas perdre la main, progresser dans son regard, dans son trait…
C’est la même chose pour quelqu’un qui écrit.
N’hésitez en tout cas pas à faire des rencontres, notez le maximum, fabriquez-vous une collection de personnages. Ils ne serviront pas forcément, mais en mélangeant les traits de plusieurs, vous arriverez à créer un caractère qui pourra rendre service pour mettre en place des scènes, pour affiner un personnage secondaire, pour donner une touche colorée à un dialogue.
Essayez de varier vos gammes : faites lundi des portraits, le mardi des atmosphères, le mercredi des incipit… Et puis le jeudi ne faites rien de tout *a : sortez de chez vous et écrivez sans stylo : observez !
Ingrédients
Non, on ne peut pas dire que tout se résume à eux.
Certes, vous avez un marché bio non loin de chez vous, et tout sera d’excellente qualité dans votre cabas. La gamme des saveurs du plat que vous avez en tête promet d’être riche est variée. Vous connaissez bien votre recette, les choses s’annoncent bien… mais malheureusement rien n’est joué.
Des heures et des heures passées en cuisine feront toujours la différence entre un chef étoilé et ce que vous cuisinez à vos amis le week-end – encore faut-il que le chef soit dans un bon jour. Mais ne parle-t-on pas aussi de « talent » (??) en matière de gastronomie ?
Pour l’écrit, c’est un peu la même chose.
Votre intrigue tient la route, vos personnages sont exotiques et travaillés à souhait, la structure de votre récit semble bien en place. Ok ? Vous démarrez, il ne vous manque rien... Sauf que ! Le ton juste (la sauce, dans votre plat) va faire toute la différence et là, trouver le ton, ce n’est plus une question d’ingrédients.
Manuscrits
Motivations
Se demander pourquoi on écrit, on tient à raconter des histoires est une question qui empêche de dormir. Le plus simple (si l’on veut survivre) est de se mettre à les raconter, sans penser trop au motif qui vous amènent à vous isoler devant un clavier pendant des heures.
Maintenant, si vous écrivez pour être lu, en pensant à être lu, en rêvant d’une publication (ce qui n’a pas grand-chose à voir avec l’écriture), c’est autre chose. Et là ça ne vous prendra pas des nuits d’insomnie pour comprendre le pourquoi de ce désir de librairie : je pense qu’en deux trois séances de psycho-analyse, vous devriez pouvoir faire le tour de la question.
Parcours
Votre parcours et votre démarche d’écriture sont liés, mais si l’un peut être jalonné par une suite de faits chronologiquement identifiables, vos avancées dans le monde de l’écriture, elles, sont très difficilement quantifiables, et le nombre de publications que vous totaliserez n’est pas forcément représentatif de quoi que ce soit. Un peintre peut avoir participé à 50 expositions, et ne jamais avoir fait autre chose qu’un seul et même tableau décliné à l’infini (Bernard Buffet, Botéro, etc.) Donc votre parcours, si long qu’il puisse sembler, ne sera peut-être au final qu’un seule et même trépidation sur la première marche de l’escalier qu’aurait pu être votre œuvre (je déteste ce mot) littéraire.
Plans
On dit qu’ils doivent être très élaborés, précis comme le « chemin de fer » d’un magazine à paraître.
Commencer par la fin, si l’on veut. Mais en fait, il faut commencer par savoir ce que vous voulez raconter. Si je veux faire réfléchir autour de la notion d’ambition, je crée un personnage qui, à 12 ans commence par travailler à se faire élire délégué de classe, ensuite je raconte sa première trahison, etc. La base, c'est savoir ce qu’on veut faire comprendre, avant de décider comment le faire le plus efficacement.
Proches
Faut-il faire le point en imprimant quelques dizaines de pages d’un projet en cours pour le partager, faut-il faire lire en cours de route un travail en se disant que vos proches seront représentatifs du lectorat dans son ensemble ? Cela paraît tentant mais ensuite, que ferez-vous des avis obtenus, recommencerez-vous, modifierez-vous ?
Ces gens savent-ils seulement lire ? Parce que, parlons-en, combien de personnes sur 100 « savent lire » ?
De surcroit, ces « proches » vous connaissent et ce sera difficile (gênant) pour eux d’être objectifs en vous donnant un avis. Et leur avis, surtout s’il est unanime, risque de vous faire perdre de vue votre objectif et renoncer à ce que vous vouliez faire / dire.
Non, croyez-m’en, fuyez les points de vue extérieurs. Comme au Canasta, retenez-vous et posez une main pleine sur la table.
Maintenant si vous pensez qu’un regard extérieur vous évitera une erreur de paralaxe, cherchez judicieusement ce regard extérieur. Mais fuyez vos proches !
Qualités
Toute une liste de mots vient à l’esprit des « conseilleurs » qui attendent de vous des manifestations de votre détermination. Mais l’on peut dire, selon le vieil adage, qu’ils « parlent comme des livres ». Car c’est bien joli les injonctions comme « Soyez opiniâtre », « De la persévérance ! », « Ecrivez régulièrement », « Sachez écouter les critiques » : tout cela ne vous apprendra pas à trouver votre style. Et surtout, tout cela ne vous développera pas les qualités propres à votre style, tout cela ne vous aidera pas à entrer en résonance avec votre actualité, ni ne vous fera forcément rencontrer votre public. Vous pouvez bosser, bosser et bosser… sans la moindre reconnaissance en vue, et ce n'est pas que vos qualités ne sont pas celles attendues d'un écrivain. Un cuisinier qui préparerait tous les jours pendant des heures, jusqu’à la perfection, le sushi au Maroilles aurait beau être persévérant, il n’en oublierait pas moins la question de base : qui peut aimer le sushi au Maroilles ?
Attentions cependant à ne pas tout miser sur le demain peut-être, je suis comme Kafka ou Van Gogh…
Ben voyons.
Restes
Des centaines d’heures de travail pour une nouvelle que je n’arrive pas à finir. Des nuits entières pour ce poème manifestement cul cul ?
Soyez objectif : c’est mauvais ? C’est mauvais. La fausse bonne idée guette l’écrivain comme le touriste les coupes gorges dans les ruelles d’une ville inconnue la nuit. Sachez rebrousser chemin à temps, et jeter (définitivement ?) à la corbeille un texte qui ne vous donne pas satisfaction : avec un âne on ne fait pas un cheval de course : c’est pareil avec une mauvaise idée – ou une idée excellente, mais qui n’est pas pour vous.